- DONATELLO
- DONATELLO«Sculpteur florentin du XVe siècle», ainsi présente-t-on généralement Donatello, mais la formule se révèle par trop étroite et contraignante tant le génie propre de l’artiste la dépasse: associé à l’épanouissement de Florence, présent dans les grandes réalisations de sa cité natale, en relation avec ceux qui en font le renom, tels Ghiberti et Brunelleschi, animateur huit années durant d’un atelier en compagnie de Michelozzo, Donatello échappe cependant au style, à l’esprit de Florence; le rayonnement de son œuvre en fait d’abord un artiste italien, et la voie qu’il suit en fait plus qu’un sculpteur, et autre chose qu’un artiste «de la Renaissance». Aussi ne peut-il être comparé ou assimilé à aucun des créateurs – sculpteurs ou non – de son époque: l’étendue, la diversité de son activité créatrice à l’intérieur d’un domaine très restreint de la sculpture constituent sa première originalité.Un artiste italienDonato di Niccola di Betto Bardi naît et meurt à Florence ; sa vie est mal connue – pour sa naissance, deux dates sont avancées, 1383 ou 1386 – ce qui importe peu tant sa carrière créatrice se suffit à elle-même. Sa biographie, pas plus que son origine florentine ne sauraient expliquer la profonde originalité de l’artiste, qui le conduira vite à une solitude où il demeurera jusqu’à la fin de son œuvre. Ses premières statues, d’inspiration religieuse, toutes de marbre, sont destinées soit à la cathédrale Santa Maria del Fiore – ainsi les quatre Prophètes du campanile, entre 1415 et 1436 –, soit à l’église Or’ San Michele, tel le célèbre Saint Georges , vers 1415. Ce sont là deux chantiers auxquels continuent de travailler tous les artistes florentins, mais rapidement Donatello se distinguera de ses contemporains. Élève de Ghiberti, il s’affirme dès ses premières œuvres, en partie grâce aux leçons qu’il tire de l’art antique. Âgé d’une vingtaine d’années, il se rend à Rome, comme tous les jeunes artistes de son temps – en compagnie de Brunelleschi. De ses observations, des mesures qu’il prend, il tire vite plusieurs conséquences, techniques certes, pour le poli du marbre, le fini du bronze, l’aisance des mouvements et le traitement du nu, mais, surtout, spirituelles: il repense l’art de la statue en fonction du cadre qui lui est imposé pour le mieux abolir, et abandonne les représentations traditionnelles ou stéréotypées pour une approche personnelle du sujet traité, une plus grande pénétration psychologique; individu, il crée des individus qui, saints ou héros, fixeront sur le monde le regard d’une conscience nouvelle, née de l’impérieuse exigence de l’artiste pour lui-même et ses créations.Dans cette perspective d’une utilisation foncièrement personnelle de l’héritage antique, qui l’amène à transcender l’art florentin, son deuxième voyage romain, entrepris à l’âge mûr, est significatif. Il prélude aux grands itinéraires dans toute la péninsule, voyage d’études, et aussi de créations puisque Donatello sculpte un grand Tabernacle vers 1430 pour la basilique Saint-Pierre de Rome, et sans doute deux tombeaux.Nombre de cités l’appellent où il poursuit une œuvre que le courant «classique» qui se développe à Florence ne comprend plus. Après Naples, Sienne lui commande des fonts baptismaux (entre 1423 et 1434); puis à Padoue, Donatello ouvre un atelier et entreprend deux œuvres monumentales: le maître-autel de l’église Saint-Antoine (1446 à 1449), orné de reliefs et de sept grandes statues de bronze, et la statue équestre du Gattamelata , coulée entièrement en bronze et finie en 1453, commandée par Venise où il se rend ensuite. De là, il ira à Ferrare, à Prato, à Sienne, pour un deuxième séjour au cours duquel il donnera un Saint Jean-Baptiste en bois (1457), et concevra un projet, abandonné, de portes pour la cathédrale. Ces voyages ne l’empêchent pas de poursuive son activité à Florence même où il sculpte, avant de mourir en 1466, la grande Judith en bronze (1453 à 1455), les reliefs destinés à l’église Saint-Laurent, et enfin la Madeleine en bois (après 1460).Ce long itinéraire a permis à Donatello de connaître, d’assimiler des techniques et des manières différentes pour parfaire son propre style, ses prores expériences et poursuivre son œuvre. Son influence fut considérable dans toute l’Italie, mais force est de constater qu’aucun de ses élèves ne s’imposa vraiment. Ni Andrea dell’ Aquila à Naples, ni Vecchietta à Rome puis à Sienne, ni surtout Bertoldo et Bellano qui le secondèrent à Florence pour les travaux des reliefs de l’église Saint-Laurent, n’atteignent à sa violence, à sa rigueur. Artiste célèbre dans toute l’Italie, artiste entouré et écouté, il demeure seul: avec la Madeleine , son entreprise parvient à son terme. À ce paradoxe s’ajoute celui du sculpteur qui limita ses recherches à certaines possibilités de son art et qui néanmoins aboutit dans cette limitation même à l’universalité.Donatello, en effet, ne semble pas exercer les multiples activités de ses contemporains; il n’est pas de ces hommes de la Renaissance dits universels, tout à la fois peintres, sculpteurs, architectes, ingénieurs, théoriciens ou poètes; ses incursions hors de la sculpture sont rares: en 1430, il participe comme ingénieur militaire au siège de Lucques par Florence; jeune encore, il avait ébauché un projet de coupole; plus tard, il dessine un vitrail; sa contribution à des réalisations architecturales se limite soit à des chaires ou à des tribunes, comme pour les cathédrales de Florence et de Prato, soit à des éléments de pure décoration, comme les médaillons réalisés pour la vieille sacristie de Saint-Laurent. Il est sculpteur – et encore n’exploite-t-il pas également toutes les possibilités qu’offre alors la sculpture. Statues en marbre et en bronze, reliefs, surtout en bronze, tel demeure l’essentiel de sa production; ses statues en bois – matériau traditionnel de l’imagerie religieuse italienne – se limitent à quatre. Donatello abandonnera vite les tombeaux dont il a exécuté un très petit nombre au début de sa carrière, en collaboration, le plus souvent, avec Michelozzo; il se détache donc d’une mode très répandue alors, comme il cesse de faire des petites statuettes de bronze; le seul exemple qui nous soit parvenu de ce genre, le seul qui ne s’intègre pas à un ensemble sculpté plus vaste – comme les fonts baptismaux de Sienne – est si ambigu par le sujet traité, si éloigné de toute convention décorative qu’il ne peut être assimilé réellement à cette mode; il s’agit d’un Atys , parfois nommé Amour ou Jeune Satyre , conservé à Florence. De même, dans le domaine de la statue, ou du buste reliquaire, les réalisations de Donatello sont rares.Le champ de l’artiste est donc restreint, mais ses œuvres, à force de progrès et d’inventions techniques, échappent peu à peu à la simple sculpture d’alors, à la simple représentation proposée dans un cadre précis et préétabli. La statue s’impose au spectateur: elle occupe, dans l’espace, une place qui lui est propre; son attitude et son expression, à chaque fois profondément individualisées, donnent au sujet traité une valeur nouvelle qui oblige le spectateur à une prise de conscience particulière tant est violente l’emprise voulue par Donatello; par ailleurs, de même que la statue crée autour d’elle son propre espace, le relief, sous le ciseau de Donatello, tend à fondre en une seule et unique réussite l’art du peintre, du sculpteur et de l’architecte.Les statuesIl est difficile de faire la part, dans l’effort créateur de Donatello, entre l’art de la statue et celui du relief. L’artiste mena les deux de front dès ses débuts et jusqu’à sa mort: la statue lui permet d’abord de maîtriser l’attitude proprement dite, les grandes lignes des vêtements opposés au corps lui-même, et aussi l’expression des visages. Avec le relief, les problèmes de l’espace, de l’angle sous lequel peut apparaître l’œuvre, et de la perspective se posent avec plus d’acuité encore. Sculpture et relief lui donnent la possibilité de résoudre progressivement les difficultés posées par les matériaux eux-mêmes: dans les deux domaines, Donatello commence par utiliser le marbre, qu’il abandonnera peu à peu pour le bronze qui lui permet des innovations techniques.Dans l’exécution de ses premières statues, il se montre soucieux de résoudre le problème du cadre de l’œuvre; ainsi, pour les Prophètes du campanile de Florence, tient-il compte de la hauteur de leurs socles par rapport au public: pour les mieux rapprocher de celui-ci, il incline leur visage, tentant de communiquer leur méditation, leur tension. Mais le cadre demeure trop étroit, l’agencement des lignes du corps tend à le briser, et peu à peu la statue prend une existence autonome: elle peut être vue de partout, elle s’impose par le réalisme du détail qui sert, non pas à traduire un simple trait extérieur, mais à exalter une attitude intérieure, intensément pathétique. Quelle que soit la perfection imitative d’une chevelure bouclée (les Saint Jean-Baptiste , de Florence et de Sienne) par exemple, le réel semble transcendé par la volonté expressive; la perfection formelle, l’harmonie, l’équilibre que chacune des statues de Donatello propose, s’effacent dans la tension, inquiète ou méditative, du personnage et de son créateur. Chaque saint, chaque héros devient ainsi, au-delà du prétexte du sujet représenté avec une grande précision, une conscience individuelle, un symbole auxquels le génie tumultueux de Donatello confère une réalité supérieure, vibrante et explosive. Ainsi pourra-t-il tenir ces deux gageures que sont le Gattamelata , exécuté à Padoue et la Judith.Le premier est le défi relevé à la perfection antique: Donatello donne à la statue équestre de Marc-Aurèle, à Rome, sa première réplique moderne, tour de force technique et affirmation, face à l’empereur philosophe, de l’homme moderne, ici un guerrier au visage dur et hautain, dont l’implacable fierté contraste singulièrement avec la vocation religieuse et funéraire du monument. Au centre une place, le Gattamelata possède le plus vaste des cadres spatiaux; la Judith , elle, se suffit à elle-même et contraint le spectateur à en faire le tour pour la découvrir dans sa multiplicité.Elle se dresse sur un socle cylindrique, dont la section circulaire est coupée par un second socle triangulaire orné de reliefs; sur ce dernier est posé un coussin carré soutenant les deux personnages: Judith, debout, brandissant un glaive de la main droite et maintenant contre elle, de la main gauche, Holopherne, assis endormi. Donatello oppose ici les lourdes draperies vêtant la femme au corps nu de l’homme, la rigidité, le fini du visage de Judith à l’expression pathétique d’Holopherne, à son traitement non finito , c’est-à-dire à peine poli, remarquable dans la chevelure. Par ailleurs, la fusion des deux personnages, la pose tout à la fois active et figée permettent, grâce aux socles successifs, au moins quatre points de vue différents qui constituent une véritable narration du geste et de l’action profonde. Donatello obtient cette narration à un degré supérieur dans les reliefs où il affirme la maîtrise la plus absolue et la plus originale.Les reliefsTandis que, pour une niche extérieure d’Or’ San Michele, Donatello sculpte un imposant Saint Georges (1416) de marbre, d’une attitude martiale, soulignée par les angles que forment la verticale du bouclier et les obliques du bras gauche et de la jambe droite, il réalise pour le socle lui-même un relief figurant le combat du saint contre le dragon. Si le procédé de la sculpture narrative n’est pas original à Florence, la technique utilisée ici est nouvelle par ce premier emploi que fait Donatello du rilievo schiacciato , c’est-à-dire du relief écrasé. C’est ce procédé que Donatello, sa vie durant, développera, sur le marbre d’abord, puis sur la terre cuite ou le stuc peint, sur la pierre dorée, et enfin – et exclusivement – sur le bronze. Du Combat de saint Georges aux ultimes scènes destinées à Saint-Laurent, Donatello ne cesse d’améliorer sa technique: rendre le maximum d’espace par un minimum de relief. En diminuant l’entaille du relief au fur et à mesure des plans successifs, Donatello parvient à intégrer dans chaque scène un ensemble de perspectives linéaires, ce qui lui fournit à la fois le mouvement et la construction architecturale (les trois dimensions sont rigoureusement rendues); par ailleurs, il associe à ses progrès dans le travail du bronze, en particulier le non finito , un art du dessin et de la composition, et aussi de la couleur, par l’utilisation de petites surfaces dorées, dans certains reliefs en pierre ou en bronze.Ses premiers reliefs demeurent sereins, malgré quelques audaces de composition comme dans l’Ascension du Christ dont la tête inclinée et le corps assis mais tiré vers le haut traduisent le mouvement ascendant. Après l’étape de la cantoria (tribune des chanteurs de la cathédrale, 1433-1439) et de l’Annonciation de Santa Croce (également à Florence, 1433), où Donatello semble fondre statue et relief, les reliefs suivants – en particulier les séries réalisées pour Padoue (autel de la basilique de Saint-Antoine, 1446-1449) et Saint-Laurent, à Florence (1455 à 1460, mais il y eut des retouches jusqu’en 1466) – atteignent à une vie, un mouvement si intense et violent qu’ils semblent être autant d’ébauches jaillies du plus ardent de l’inspiration de l’artiste: jeu de lignes qui se heurtent (Descente de croix ), jeu de lumières aussi, mouvements de foules aux expressions horrifiées ou passionnées, perspectives infinies, sujets et motifs décoratifs étroitement unis, tout se fond et vibre jusqu’à décourager toute logique comme dans la montée éperdue de l’Ascension de saint Jean L’Évangéliste.La célèbre Madeleine du Baptistère de Florence offre l’image symbolique de cette transe qui saisit le créateur et qui lui permet de jouer avec les formes, la lumière, le mouvement en usant de ses matériaux d’une façon toute moderne: on «sent» le marbre, le bronze utilisés pour eux-mêmes. Pour sa dernière œuvre achevée, Donatello choisit le bois et un personnage unique: ce retour à la vieille tradition religieuse n’est qu’une apparence. En marge de son siècle, ou au-delà de lui, dans l’isolement que connaîtra aussi Michel-Ange, il réaffirme brutalement ses convictions artistiques, par l’exaspération réaliste du détail, et une signification morale quasi mystique que traduisent, plus encore que l’attitude orante de la pénitente solitaire, son visage hagard et décharné et le regard énigmatique que, de ses yeux à demi baissés, elle semble jeter vers le spectateur.Donatello(Donato di Niccolo Betto Bardi, dit) (1386 - 1466) sculpteur italien. Le plus grand sculpteur florentin du Quattrocento, à la fois marbrier et bronzier, il a tracé la voie entre le gothique international à caractère réaliste et le classicisme: effigie du condottiere Gattamelata (1447-1453, Padoue), grande statue équestre.
Encyclopédie Universelle. 2012.